Le jour où j’ai rencontré « Dieu » 2
2e partie
Autant le dire tout de suite, je déteste le piston, avoir des faveurs grâce aux relations que l’on a et non grâce au seul mérite de ses compétences est quelque chose que je supporte très mal. Oui mais voilà, la campagne des recrutements universitaires va s’ouvrir très bientôt et se faire connaître dans de tels évènements fait partie du cirque, du cérémonial auquel on doit se plier pour avoir un poste. Je vous l’avoue sans aucune modestie mais si les recrutements ne se basaient que sur la qualité du CV, je serais beaucoup moins inquiète. Car j’ai un bon CV mais peu de relations. Pendant des années, dans les colloques, je n’ai jamais été de celles qui sautaient sur tous les chercheurs connus en leur brandissant mon CV et en les bassinant avec ma thèse. Non, moi, j’ai toujours plutôt traîné avec les autres doctorants à déconner et à me lamenter sur ma thèse-mon fardeau. J’ai plusieurs fois sympathisé avec des chercheurs plus aguerris mais ça s’est fait de manière naturelle, souvent par le fruit du hasard. Enfin, tout cela pour dire que je me suis résigné vendredi à jouer le jeu de la fille qui se fait connaître afin que l’on mémorise son nom au moment de l’examen des dossiers de candidature.
Bibi, ma directrice, a aussi joué le jeu me présentant à tous les papes du domaine. Chacun me demandait quand j’avais soutenu ma thèse et si j’avais été qualifiée. (Ah oui alors, les qualifications pour faire vite pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une validation de notre dossier par des experts qui, en nous octroyant une qualification dans une discipline nous autorisent ainsi à postuler à des emplois dans cette discipline. En somme, c’est indispensable.) Oui j’ai été qualifiée et j’ai même eu deux qualifications, dans deux sections disciplinaires différentes (la classe). Ah mais c’est très bien ça, mademoiselle. Ensuite, nous sommes allées, Bibi et moi à la pêche aux infos en demandant à chaque chercheur « Il va y avoir un poste dans votre université ? ».
Et puis, Bibi a fini par me présenter à Dieu. Je lui ai serré la main et il m’a dit « Je dois vous féliciter doublement, pour la soutenance et pour les qualifications, je crois. » Oui, car même si je n’avais jamais parlé à Dieu, celui-ci connaît tout de moi. Il a suivi toute la progression de ma thèse : mes questionnements, mes doutes, mes découragements, mes moments de génie aussi, il sait tout de ma vie de jeune chercheure. Pourquoi ? Parce que Dieu est le conjoint de Bibi. Oui, elle, si belle, si douce, si gentille…elle est avec Lui (si laid, si méchant, si méprisant, etc.)…et cela au grand désespoir de tous mes camarades masculins à la fac qui étaient tous amoureux de Bibi quand nous étions étudiants. C’est comme cela, parfois il y a des attirances qui nous dépassent.
Bibi m’a également présenté Monsieur C., un chercheur plutôt connu d’un cinquantaine d’années, que je n’avais jamais vu mais qui occupe plusieurs postes stratégiques dans le monde de la recherche. Et là, c’est officiel, je suis amoureuse de Monsieur C. Je l’ai trouvé super séduisant, un sourire ravageur…Ah ! Monsieur C. !
Dans l’après-midi, pour écouter les conférences, j’étais assise à côté de Bibi. Là, je dois parler d’un truc qui est bien quand on a fini sa thèse, c’est que les rapports avec le directeur de recherche changent (bon, j’imagine que ce n’est pas forcément une généralité). Maintenant, Bibi me fait la bise et on a des discussions plus personnelles. Déjà, le fait qu’elle m’ait présenté à Dieu est un signe de changement. A un moment, il y avait une table ronde avec notamment Dieu et Monsieur C. J’ai alors glissé à l’oreille de Bibi : « Monsieur C. est vraiment bel homme ! », elle m’a répondu « Oui, il a beaucoup de charme, n’est-ce pas ? ». On a rit et puis, je lui ai dit que j’avais déjà remarqué qu’on avait les mêmes goûts dans ce domaine.
Mon regard s’est alors posé sur le visage de Dieu et je me suis dit en mon fort intérieur « Euh peut-être pas toujours les mêmes goûts, en fait. »